Cette place a une histoire et je veux vous la raconter... Elle était située comme maintenant au milieu du village et était entourée de commerçants. Il y avait trois cafés. Celui de Bonnery, en face, qu'on appelait Pifolle et qui fut le dernier à fermer. A côté, celui de Durand dit Raboul car tous les gens d'Aragon avaient un nom d'emprunt. A côté, il y avait le café d'Iché. Les vieux à l'époque n'avaient pas trop d'argent mais allaient prendre un café-mazagran, une absinthe (le pastis n'existait pas), et de temps en temps un apéritif de la marque Amer-Picon. Pour passer le temps, ils jouaient à la manille ou au briscan.
Il y avait aussi deux boulangers sur cette place. Rullac Louis qu'on appelait « le mitron ». A côté, la boulangerie de Cayrol-Izard qu'on appelait Pamplet ! Ils étaient braves et pour les fêtes, ils faisaient cuire gratuitement dans le four à pain les plats cuisinés que les cuisinières leur apportaient (croustades, madeleines, dindons, canards et oies). Il faut dire qu'à l'époque il n'y avait pas de butagaz ni de micro-ondes.
Mais à cette époque, l'eau était indispensable pour les bêtes et pour les hommes. Il n'y avait pas l'eau à l'évier et avec une cruche ou un seau, chacun allait chercher l'eau aux fontaines. Les viticulteurs deux fois par jour amenaient les 60 chevaux du village et les boeufs pour boire au bassin. Chaque animal buvait à peu près 20 litres d'eau chaque fois.
Il y avait trois voitures dans le village et un service d'autocar assurait la ligne de St Denis et de Brousses à Carcassonne et il s'arrêtait sur la place.
On se doit d'avoir une pensée pour ce qui s'est passé pendant la guerre, le 11 août 1944. Comme à Oradour-sur-Glane, les Allemands encerclèrent le village et tous les hommes d'Aragon furent rassemblés sur cette place. Une quinzaine d'hommes des plus récalcitrants furent interrogés par les officiers allemands. Après l'interrogatoire, ils les mirent de côté, sous le rocher, pour les amener à la prison de Carcassonne. Comme vous le voyez, cette place a une histoire à laquelle les Aragonais sont attachés. Ici, c'était le coeur du village où les marchands-forains s'arrêtaient pour vendre la marchandise (« le reillou », « le caïlfa », « Limaille » et les autres). Tout l'été, de 8h à minuit, tous les voisins parlaient en prenant le frais. Voilà, mes amis, l'histoire d'une placette que l'on veut conserver avec tous les souvenirs qui s'y rattachent.

Louis Loubet et Gilbert Fillol

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